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@Theseus Selwyn — mai 1985

tw: /
Le temps filait à toute allure. D'autant plus vite à mesure des années ; et encore plus depuis qu'elle avait des enfants, Cordelia s'était fait la remarque, en passant la journée avec eux. Louise avait déjà six mois, ce qui signifiait presqu'autant de temps que la sorcière s'était trouvé un nouveau professeur aux leçons particulières, pour l'aider à améliorer ses talents d'occlumens. Un entrainement qui portait vraisemblablement ses fruits - de plus en plus, Cordelia parvenait à se maîtriser, à maintenir une barrière solide et durable entre le monde extérieur et ses pensées, à ne pas flancher face aux assauts. Elle était encore loin d'être accomplie - un peu de fatigue, ou de distraction, et elle devenait aussi fragile et accessible qu'une fourmi dans une toile d'araignée. Cette vulnérabilité, pourtant, se transformait en force, puisqu'elle parvenait à cueillir l'intrus dans une bulle spécifique de souvenir, avant de pouvoir s'en débarrasser comme dans un courant d'air. Un exercice qui imprégnait son quotidien, à mesure qu'elle fréquentait, de plus en plus souvent, l'homme contre lequel elle avait mis tout cela en œuvre pour se protéger, à la base. Si Ren ne tentait plus de pénétrer ses pensées par la force, ce n'était pas le cas de Theseus, qui s'y escrimait séance après séance, se heurtant d'autant plus souvent aux murs que Cordelia avait façonné et entretenait comme ces nombreuses plantes métaphoriques qui repeuplaient, doucement mais sûrement, cette serre mentale qui était l'analogie de son esprit.

Depuis six mois, son beau-frère en avait certainement appris plus sur elle en arpentant ses pensées et ses souvenirs jonchés de ronces et d'épines, que volontairement via ses propres lippes. S'il avait trahi sa confiance une fois par le passé, Theseus n'avait plus essayé de lui soutirer une information qu'elle ne voulait pas lui donner, se contentant de l'aider à peaufiner ces défenses et mécanismes qu'il avait lui-même mis des années à assimiler. À vrai dire, il y avait de nombreuses choses, et de multiples sujets, que la Nott et le Selwyn n'abordaient pas, fort conscients d'éviter des conversations qu'ils souhaitaient éviter. La dernière en date, pour la jeune femme, était la raison pour laquelle elle avait demandé - pour ne pas dire, exigé - qu'ils changent l'endroit de leurs rencontres, ne souhaitant plus remettre les pieds au Phoenix's Ashes. Theseus n'avait pas cherché à savoir, tout comme Cordelia n'avait pas parlé avec lui de la grossesse et de l'accouchement qui se faisait, maintenant, imminent, de sa sœur. Ces sujets restaient vivants, mais clos, entre eux, et chacun se plaisait dans cette situation.

Ou presque. Ce soir, Theseus ne lui avait pas semblé si combatif, ou concentré, qu'à l'accoutumée. À chaque fois, elle était parvenue à repousser ses assauts sans trop de difficulté - et si Cordelia se savait de plus en plus douée, elle doutait également être assez forte pour que l'exercice lui semble aussi facile. Dans l'une des pièces à l'étage du Chaudron Baveur, la leçon terminée, Cordelia remplissait deux verres d'eau, en laissant un pour son beau-frère, vidant le sien à trois-quarts en quelques goulées. Elle observait le sorcier qui se tenait non loin, les paupières plissées, à jauger la situation, à rester sur sa faim, et à ne pas apprécier le sentiment d'inaccompli qui l'habitait toute entière, puisqu'ils en avaient fini pour aujourd'hui. « You know », commença-t-elle en reculant le verre de ses lèvres, le regard toujours braqué sur la haute silhouette. « I would hate to think you're letting me win, Theseus. » Tout cela n'avait rien d'un jeu, ils en étaient tous les deux bien conscients, mais sans nul doute, l'homme comprendrait ce qu'elle signifiait par là. Le ton, si pas accusateur, au moins moralisateur, s'adoucit lorsqu'elle reprit, plus inquiète que curieuse quant au comportement de son professeur. « You look... Preoccupied. Is something on your mind? »

Puisqu'elle ne pouvait pas lire les siennes, elle espérait qu'il prendrait la peine de partager ses pensées.

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@Cordelia Nott — mai 1985

tw: cauchemars, sang, mort d'enfant
Theseus est fatigué. Tout court, mais surtout de la vie. De cette routine incessante et vertigineuse, dans laquelle il ne trouve pas sa place. Theseus est épuisé des rencontres, des questions auxquelles répondre, des faux-semblants ; surtout de le faire, en réalité. Face à tout le monde. Face à ses parents, face à ses amis, face à ses collègues ; face à son épouse dont il supporte les sautes d’humeur incontrôlables et imprévisibles. Un jour au sommet de l’univers, un autre au fond du gouffre. Theseus oscille constamment entre le haut et le bas sans être certain de survivre aux montagnes russes. La chute et l’ascension se ressemblent, se confondent et lui laissent dans la bouche une saveur âcre-amère qu’il ne supporte plus. Et puis, il y a Cordelia. Au centre de cette serre renaissante au coeur de laquelle il se sent de plus en plus chez lui ; par Merlin, que donnerait-il pour troquer quelques heures ancrées dans la réalité pour des semaines entières au milieu de ce cimetière de pensées ?

Cordelia n’est pas dupe. Sait que malgré ses progrès, la facilité avec laquelle elle parvient à repousser Theseus ne peut entièrement lui être attribuée. Lui-même semble peu enclin à maintenir l’illusion quand elle le questionne et se contente de plonger sur le verre d’eau qu’elle lui tend. Il noie les rires maussades qui secouent sa gorge dans la boisson claire avant de se redresser. Il hausse les deux épaules et passe une main sur son visage marqué par le manque de sommeil. Il a perdu du poids. Pas beaucoup - juste assez pour que cela se remarque à la façon dont il a attaché sa ceinture ou à la coupe de ses chemises. Plus sec, à vrai dire. Taillé dans la pierre dont il tente de se draper pour faire face à un interrogatoire qui se prépare. « What can I say ? My wife is pregnant and hormonal. Life at home is… agitated. » Il dit la vérité. Aucune trace de tromperie ne s’insère entre les mots qu’il délivre - mais ce n’est pas tout.

Theseus ne dort pas, certes. Mais tout comme la réussite de Cordelia ne peut être seulement expliquée par son travail acharné, Theseus ne peut entièrement faire porter à Brianna le poids de ses insomnies.

Les cauchemars.
Nombreux, répétitifs, cruels.
Le visage d’Aiden dans le reflet du miroir, le fixant avec rancoeur et déception ; se demande pourquoi il est remplacé. Le ventre de Brianna donnant naissance à une créature informe, purulente et tuméfiée. Ses mains, couvertes de sang et de viscères infantiles, qu’il ne parvient pas à nettoyer.
Il ne peut tous les décrire ni se les repasser sans avoir envie de vomir.

Theseus s’assoit. Se penche à peine vers l’avant tandis qu’il dépose les coudes sur ses genoux et se prend la tête entre les mains. Un long soupir lui échappe avant qu’il ne redresse le visage en direction de son amie.
Son amie, qui est avant tout membre de sa famille ; si bien qu’il n’est pas certain de trouver le réconfort d’une camarade à la place du biais de sa belle-soeur. Brianna avant tout, évidemment.

Mais il est au bord du vide, Theseus.
Et pour la première fois, il n’est pas certain de pouvoir s’empêcher de sauter.

« A lot is on my mind, Cordelia » répond-il enfin avec moins de cynisme. « And I feel like I’m slowly losing it. »

Il sourit, quand même. Se relève et s'apprête à chasser du revers de la main tout ce sujet de conversation. Il esquisse même le début du mouvement, mais s'arrête en plein milieu.

« But if we're going to have that kind of discussion, I'll have to order us some firewhisky. »

Un verre ne peut pas lui faire de mal, après tout.
Right ?

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@Theseus Selwyn — mai 1985

tw: mention de mort d'enfant, d'alcool
« What can I say ? My wife is pregnant and hormonal. » Cordelia se retint de hausser les yeux au ciel. Quelle excuse bidon. Tout du moins, non - l'excuse n'avait rien de faux, puisqu'elle n'en était pas une, et que Theseus ne faisait que relater la vérité. Ce n'était pour autant pas là, la réponse à sa question. Sans doute s'en rendit-il compte, car son beau-frère enchaîna aussitôt. « Life at home is… agitated. » Les épaules, tout comme les sourcils ainsi que les paumes de Cordelia se haussèrent d'un même mouvement, comme si elle avait envie de lui dire qu'elle était désolée pour lui, mais que... Enfin, c'était toujours comme ça, non ?

Son cœur se serra, elle perdit de sa hauteur et de son air sentencieux en voyant l'héritier Selwyn s'affaler sur une chaise, comme déjà vaincu. Voilà qui était loin de ressembler à celui qu'elle avait appris à connaître. Quelque chose n'allait pas - en attestaient les cernes creusés, les pommettes plus saillantes. D'une voix invitant à la confidence, elle reprit. « Talk to me. Please. » Si elle avait été - autant que faire se peut, avec l'animal blessé qu'elle représentait alors - présente pour sa sœur à la disparition de leur fils, Cordelia se rendait compte, à l'instant, qu'elle n'en avait pas fait autant pour son beau-frère. Et se demandait, sans doute trop tard, si quelqu'un avait véritablement été là pour lui.

« A lot is on my mind, Cordelia. And I feel like I’m slowly losing it. » Alors qu'il lui répondait, la sorcière fit le tour de la table - aurait pu le toucher, poser une main réconfortante sur son épaule ; pourtant, le geste lui semblait déplacé. Plutôt, elle prit place en face de lui en tirant la chaise sans un bruit ; croisa les chevilles dans ce geste civique qu'on lui avait inculqué à coups de baguette. À peine fut-elle assise, Theseus s'était relevé, comme si leur position relevait du trop sérieux. Sans un mot, elle l'observa s'agiter, s'embrouiller avec son ombre au mur. Il semblait rempli de doute, lui qui avait l'air toujours si sûr de lui. À le laisser débattre seul, l'homme parvint finalement à une conclusion. « But if we're going to have that kind of discussion, I'll have to order us some firewhisky. »

Une qui n'était pas pour ravir son élève. Pinçant les lèvres, elle croisa les mains sous la table, sur ses genoux. « I don't think it's a good idea. » Parce qu'il avait plus que forcé sur la bouteille, récemment, c'était évident. Rien de bon ne sortait jamais d'un trop plein d'alcool. Plutôt que d'essayer de le dissuader, Cordelia opta pour prétendre une préférence personnelle. « Honestly, I'd rather not. I don't have a good relationship with it. » Firewhisky, or anything, really. Si elle buvait, socialement, son rapport à l'alcool avait radicalement changé, près de deux ans auparavant - Cordelia préférait éviter la bouteille dans sa vie privée. « Not since my husband insinuated that I was an alocholic. You know, des mots d'amour », balaya-t-elle la remarque d'un geste négligé de la main. Une façon d'affirmer qu'aucun de leur mariage n'était parfait. Ne le savait-il pas déjà ? Impossible à dire. Elle, ne lui en avait jamais rien dit - quant à Marius, même si Theseus était son meilleur ami, elle doutait qu'il s'épanche sur la question. « Let's stick to water. » Joignant le geste à la parole, elle resservit leur verre d'un liquide probablement trop transparent au goût du brun - mais elle ne lui laissait pas vraiment le choix.

Après une gorgée, Cordelia reposa le verre sur la table, dans un bruit qui emplit le silence entre eux. À force de le côtoyer, la sorcière était à l'aise en sa compagnie, celle du silence - il n'était pas certain que ce soit le cas actuellement de son beau-frère. « You don't have to tell me anything you don't want to. [...] Personally, I find it comforting to talk to a listening ear—maybe you could give it a try. »

le dé a décidé que pas d'alcool pour Theseus

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@Cordelia Nott — mai 1985

tw: alcoolisme, mort d'enfant
Theseus ne saurait dire depuis quand l’alcool est devenu une solution avant d’être un véritable problème. Il n’empêche qu’il s’y résout souvent - trop, sûrement. Parce qu'il scelle son coeur et lui délie la langue dans un tourbillon de maux qui n’en valent pas les syllabes ; et puis voilà. C’est toujours comme ça. Un objectif simple. C’est une anesthésie délibérée, qui ne coûte pas si cher au fur et à mesure qu’il se détache des saveurs exquises des meilleures ambres. Il pourrait se contenter du pire pour oublier que les choses empirent. Mais Cordelia le prive de sa potion ; de son élixir amer et âcre qui attaque son foie comme une mauvaise blague, à la chute vertigineuse et de mauvais goût. Dans tous les sens du terme.

Il se rassoit. Laisse son dos s’enfoncer dans les coussins du fauteuil le plus proche tandis qu’il étend les jambes devant lui. Les bras alignés aux accoudoirs, la tête légèrement renversée vers l’arrière, il sent l’arête du dossier épouser la courbure de sa nuque. Il ferme les yeux, pousse un long soupir las. Les soeurs Rosier ont toujours eu le chic pour le priver de ce qu’il veut - mais allez savoir pourquoi, ce soir, il ne compte pas insister. Une part de lui a envie de connaître le goût de ses remords et de ses angoisses, lorsqu’ils ne baignent pas dans la gnôle. Peut-être qu’il en préférera l’aigreur, l’acidité, le piment. Qui sait. Il se découvrirait une sacrée recette de ressentiments.

Il passe tout de même une main sur son visage, essaie d’en lisser les traits ; surtout, de camoufler ce début de sourire qui menace le coin de sa bouche lorsque son amie évoque les remontrances de son époux. Marius et son don pour la diplomatie. Une franchise qu’il a toujours admirée chez son camarade, mais qu’il sait souvent déplacée par rapport au contexte dans lequel il s’y livre. Cordelia a dû en entendre, de ces délicieuses paroles accompagnées d’un timbre monotone. Un peu de cruauté sertie de diamants d’honnêteté.

Mais il revient à l’intérieur de lui-même, Theseus. À chaque seconde, un peu plus. Alors que le silence s’installe pour témoigner de l’attention de Cordelia, il se surprend à avoir de plus en plus de choses à dire. Mais les mots lui viennent et s’entrechoquent dans un carambolage désordonné. Il craint de n’être ni cohérent, ni éloquent, et encore moins sensé. C’est un sacré foutoir, là-dedans. Un bourdonnement sourd lui tape sur le système alors qu'il s'égare dans un yo-yo sentimental infernal.
Il n’a aucune idée de par quoi commencer.

« Brianna is having a boy » dit-il tout simplement.

Un garçon.
Il se souvient encore du glas de la sentence.
Du tranchant de la lame dans sa poitrine.
De toutes les épines qui ont piqué ses poumons, sa gorge et son estomac, en un temps record.
Un garçon.
La clé du problème ; et le fardeau de tout le reste.

« We have an heir » explique-t-il en se redressant à peine. Il redresse la colonne contre le dossier de son siège, sans pour autant basculer dangereusement vers l’avant. « But… »

Mais il n’arrive pas à prononcer ce nom. Ces cinq lettres. C’est trois voyelles. C’est deux consonnes.
Il
n’y
arrive
pas.

Et c’est alors un petit rire rauque qui lui chatouille la gorge, qui agite une seconde ses épaules.
Avant qu’il le dise, enfin.

« But I still haven’t buried the previous one. »

À la surface de son esprit, Aiden gît encore.
Pourrit à la lumière du soleil.

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@Theseus Selwyn — mai 1985

tw: mention de mort d'enfant, d'alcool
Il arrivait rarement à Cordelia de ne pas se sentir sûre d'elle. Le sentiment l'emplissait pourtant, alors qu'elle avait refusé à Theseus qu'il se serve un verre d'alcool. Elle n'était pas certaine de sa réaction, attendant avec appréhension - et ne put retenir une expiration soulagée lorsqu'il prit enfin place dans le fauteuil face au sien, sans argumenter sa décision. Son inconscient était trop habitué aux éclats suite à un refus ; ses ongles pressés dans l'accoudoir se détendirent en même temps que les traits de son beau-frère.

La perche était tendue, lancée, catapultée, peut-être. Sans insister, Cordelia proposa à l'homme de parler, alors qu'une partie d'elle-même avait envie de le secouer pour voir ce qui pourrait tomber de l'arbre de stoïcité. Des coques vides ou des fruits pourris ? Peut-être rien de tout ça, peut-être serait-elle surprise. Sur certains aspects, Theseus restait une totale énigme pour elle. Et c'était le silence, encore, qui s'éternisait entre eux, les entourait de sa sinueuse viscosité. He's not going to tell me anything. Pourtant, il lui coupa l'herbe sous le pied, aussi tranchant que la simplicité de son ton.

« Brianna is having a boy. »
« Oh. »

L'interjection lui échappa, aussi soudaine que la compréhension immédiate. Theseus n'avait pas à en dire plus pour que les liens s'effectuent en son esprit ; les cernes grandissants au ventre s'arrondissant. Il ne devait plus rester que quelques semaines, avant que le couple Selwyn n'accueille leur petit garçon. « We have an heir. » Leur nouvel héritier. Son cœur se serra - soudainement, comme cela ne lui prenait jamais, elle avait envie de retrouver sa sœur, de discuter avec elle, de la prendre dans ses bras. D'être là pour elle - mais c'était avec son mari qu'elle se retrouvait, lui qui semblait tellement désemparé. Qui trébuchait sur ses mots, comme jamais elle ne l'avait entendu. « But… But I still haven’t buried the previous one. »

La gorge sèche, Cordelia en venait presque à regretter d'avoir refusé un verre de whisky pur feu. Ce qu'elle n'aurait pas donné, pour en sentir le goût, celui qui faisait oublier la saveur des tourments. Là était tout le nœud de leur problème, qui n'en était pas un - ils ne voulaient pas oublier. « And you shouldn't. » Son ton, sans doute, était trop âpre. Pas contre Theseus - contre le monde qui lui imposait d'oublier son enfant, de tourner la page et de recommencer pour le bien être de la lignée. Fuck them. « You don't have to bury him. Not here. » Son index tapota sa tempe, avant de descendre vers son cœur. « Nor there. »

« I know that's what they are expecting from you. From both of you. I also know you won't give it to them. » Ni lui, ni sa femme. Le souvenir d'Aiden persisterait, n'en déplaise à ceux qui voulaient effacer sa mémoire. « But... » À son tour d'hésiter, de buter sur les mots. Comme si elle s'adressait à un animal blessé, farouche, que le moindre terme de travers pourrait faire fuir. Tant pis - Cordelia n'était pas connue pour prendre des gants, et elle se devait de lui partager le fond de sa pensée ; si ce n'était pour le bien de cet enfant à venir. « This child will never replace Aiden. But he deserves to know the same love you gave his brother. He deserves for you to give him a chance. » Plus elle parlait, plus son cœur se gorgeait d'amour pour cette nouvelle vie, qu'elle était si impatiente de rencontrer. Theseus ressentait la même chose - tout en étant tétanisé par la perte de son premier fils. « You don’t have to let go to move forward », ajouta-t-elle, en espérant que ses paroles pourraient le réconforter, même un peu.

Elle se pencha, finit par effleurer sa main de la sienne pour attirer son attention.
« I so do want to congratulate you. »
Elle n'osait pas, cependant.
Will you let me?

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@Cordelia Nott — mai 1985

tw: alcoolisme, mort d'enfant
De toute façon, vivre fait mal.
Theseus le sait et s’y fait. Peu à peu, jour après jour, il apprend à vivre dans l’absence. Celle d’Aiden, celle de ses parents, celle de Brianna ; fut un temps, il s’est même habitué à la disparition de Cordelia. Une distance causée par la rancune, et il ne lui en a pas tenu rigueur. Pendant ces quelques mois, même lui n’a pas aimé se retrouver en sa propre compagnie. Mais aujourd’hui, alors que les mains du destin se referment autour de son coeur pour mieux l’opprimer, il est reconnaissant d’avoir une amie sur qui compter. Cordelia à la double casquette, dont il sait qu’elle sera toujours la soeur de Brianna avant d’être sa confidente. Il n’empêche que… oui. Pour une fois, ça fait du bien. Pour une fois, il s’autorise à voûter les épaules vers l’avant parce qu’il sait que la jeune femme ne dira rien. Ni pour lui ordonner de se redresser, ni pour en colporter les ragots à son épouse. Ce qui se passe dans cette pièce restera à jamais entre ces murs, et c’est quelque chose qui le rassure.

Mais quand elle lui demande si elle peut le féliciter, il rit. Theseus laisse une fine hilarité lui racler la gorge et rehausser un coin de sa bouche. Il n’a aucune idée de ce qu’il y a à célébrer - une naissance, certes, mais de quoi ? D’une plaie ouverte, d’une tragédie à écrire, d’une fin à prévoir. Les mirages que laissent miroiter l’avènement d’une nouvelle vie ne suffisent pas à faire de l’ombre à tous les cauchemars qui les attendent au tournant. Le visage d’Aiden est à la fois trop matériel et méconnaissable à la surface de sa mémoire.
Il oublie, Theseus.
Peut-être a-t-il égaré des pièces du puzzle dans l’alcool, la rancoeur ou entre ses propres costumes - mais il oublie. Si son fils avait les yeux plus bleus ou plus gris, les notes de ses rires et comment il préférait se coiffer.
Il craint que la venue d’un nouveau fils éloigne tout le reste.
Jusqu’à-ce qu’il n’en reste plus qu’un vague souvenir.

« I don’t know if I can » confesse-t-il en laissant ses doigts courir à la surface de la main que Cordelia lui tend. « I don’t know if I can love another child like I loved Aiden. And I don’t want to replace him. No one ever will. But is it possible to still grieve a child while trying to love another ? He was a part of me… Nicola may be my daughter, but Aiden was… »

Il était tout. Il était le fruit de tous ses espoirs et le réceptacle de toutes ses promesses ; celles qu’il lui a faites le jour de sa naissance. De ne pas lui faire endurer les mêmes peines, les mêmes sacrifices. Et tout ça pour quoi ?

Theseus laisse un long soupir lui échapper avant d’enfin redresser le regard en direction de Cordelia. Ses yeux sont bordés de fatigue, légèrement vitreux, mais scintillant d’émotions ; d’un mélange douloureux de colère, de frustration et d’infinie morosité. L’épuisement ternit tout.

« Don’t congratulate me yet, Cordelia » souffle-t-il avec un petit mouvement de tête. « I’m not sure I deserve it, right now. »

Bien qu’il ait tout fait comme il faut. Comme on attend de lui. Supporter son épouse, lui offrir son soutien. Choisir un nom pour leur fils, préparer la chambre, prévenir ses parents. Tout est prêt pour accueillir cet enfant.
Tout.
Sauf lui.

« I want to give him everything I have » dit-il enfin. « But I’m not sure it’s enough. »

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@Theseus Selwyn — mai 1985

tw: mention de mort d'enfant
Le rire qui accueillit sa tentative de félicitations dérouta un instant Cordelia, et elle se recula en délaissant la main de Theseus, comprenant que c'était sûrement la dernière chose dont il avait besoin pour l'instant. L'observant, elle comprenait que sa peine était si profonde, qu'il n'y avait rien qu'elle ait pu dire qui le console un tant soit peu. Ce n'était sans doute pas ce qu'il recherchait, pas plus qu'une oreille attentive. Elle ne pouvait cependant s'empêcher d'essayer. « I don’t know if I can. I don’t know if I can love another child like I loved Aiden. And I don’t want to replace him. No one ever will. But is it possible to still grieve a child while trying to love another ? He was a part of me… Nicola may be my daughter, but Aiden was… » Et Cordelia ne pouvait faire que le comprendre. Louise n'était dans sa vie que depuis quelques mois, pourtant, elle savait qu'elle partagerait tellement plus de choses avec elle qu'avec son petit garçon, Theodore qui ressemblait déjà tant à son père. Son amour pour ses deux enfants était infini - pourtant, oui, elle comprenait ce que voulait dire Theseus, sans qu'il n'ait eu à prononcer un mot. « Maybe it’s not about replacing, or even about ‘loving the same’. Maybe it’s just about opening your heart again, even if you’re afraid. Theseus... » Elle soupira, puis quitta finalement sa chaise, malgré sa première tentative infructueuse. Le voir dans tant de peine lui serrait le cœur, et son instinct ne pouvait l'empêcher de se diriger vers lui, pour tenter d'apaiser ce sentiment, même si ce n'était qu'un peu. Accroupie, la main sur son genou, à essayer de capter son attention. « I think Aiden would want you to keep loving, even if it hurts. »

Finalement, son beau-frère releva le regard vers elle - un regard meurtri, blessé, un mélange d'émotions qui menaçait de déborder. « Don’t congratulate me yet, Cordelia. I’m not sure I deserve it, right now. » Malgré elle, un souffle amusé s'échappa de ses narines, ses lèvres s'étirèrent sans qu'elle n'en ressente de joie. « We don't think we truly deserve anything good, do we? » Elle-même redoutait la moindre parcelle de bonheur qui s'introduisait dans son quotidien morose. Comme si elle ne la méritait pas. Qu'elle allait lui être reprise à la moindre contrariété. Ou qu'elle lui venait d'endroits où elle n'aurait même pas dû voir la lumière. « I want to give him everything I have. But I’m not sure it’s enough. »

« The fact that you want to give him everything you have is enough already », lui assura-t-elle d'une voix douce, cette fois en ressentant le sourire qui avait pris place sur ses lippes. « That’s what made you a good father before, and it’s what will make you a good father again. It’s not about ‘enough’. It’s about showing up, every day, and do your best. Plus », ajouta-t-elle en se redressant, sa main sur l'épaule du sorcier, cette fois, « I'm sure when you meet him, you'll know. You'll know what to do, or what he needs. » Bien que leurs situations étaient diamétralement opposées, les doutes concernant les naissances, Cordelia connaissait très bien. Au vu de la situation avec son mari, ou du contexte politique, elle avait eu ses raisons de douter - et avait, la plupart du temps, dû trouver ses réponses toute seule. « I know I did. »

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@Cordelia Nott — mai 1985

tw: pression familiale, mort d'enfant
Theseus s’est toujours fait l’idée de l’inutilité des confessions. Qu’il est bien plus raisonnable, raisonné, de tout garder enfoui. D’enterrer sous des couches et des couches de déni, d’amertume et de non-dits ce qui remonte trop facilement à la surface pour les moins aguerris. C’est comme un jeu, finalement. Une course contre ces pensées parasites qui filent à travers les chemins les plus sinueux de ses sentiments et qu’il doit rattraper avant qu’ils ne trébuchent sur le plat de sa langue. La vérité est une arme que l’on retourne vers son propre coeur - c’est ce que son père a toujours voulu lui inculquer, et ce qu’il n’a jamais voulu fourrer dans la tête de ses propres enfants. Mais Theseus se sent soudain plus léger. La pression sur ses épaules retombe et coule le long de ses bras comme une averse tranquille, s’égouttant silencieusement sur le sol. S’il courbe l’échine, ce n’est plus sous le poids du sort mais parce qu’il est soudain épuisé. Parler, c’est éreintant. Surtout quand malgré tout, l’effort de bien choisir ses mots dicte la plume invisible. Cordelia, elle est là quand même. Pour l’aider à éponger cette pluie immatérielle qui s’écoule sur lui et se répand sur le sol en une flaque translucide. N’importe qui pourrait y sauter à pieds joints pour éclabousser les murs des nuances de ses peines. Mais Cordelia ne le fait pas. Elle valse entre les points d’eau et épargne les émotions qui y stagnent. Elle n’y touche pas. Elle n’en joue pas.
Et Theseus se sent mieux.

Il se redresse et dans le même temps, plonge les yeux dans ceux de son amie. Un petit sourire s’est invité à la commissure de sa bouche, discret et à peine plus cynique qu’il ne le faudrait. La jeune femme trouve les bons mots et il se demande un instant si c’est parce qu’elle aussi, connaît les joies et les douleurs de la parentalité - avant de réprimer l’idée. Brianna, aussi indispensable soit-elle à son existence, ne pourrait le réconforter avec autant de précaution que le fait sa soeur. Brianna ne panse pas d’autres plaies que les siennes, après tout. Certainement parce qu’on ne lui a jamais appris.
Mais alors, d’où vient cette douceur dont Cordelia se pare, pour rafistoler le coeur de son ami ?

« I was sure about what to do for Aiden. Look at were it got him. » Theseus rétorque-t-il avant de longuement soupirer. D’une main, il chasse de son visage crispations que sa propre insinuation a inspirées. « I’m afraid, Cordelia. I’m so afraid that I won’t be able to protect him either. »

Parce qu’il a déjà failli, une fois. Et qu’il n’est pas certain de pouvoir rattraper ses erreurs. En dépit de toutes les promesses qu’il peut formuler à ce nouvel enfant à venir, il n’y a aucune garantie. Aucun pacte le scellant au Destin pour que celui-ci l’épargne, lui. Alors qu’il n’a pas hésité à lui arracher un fils.

Theseus se lève, soudain. Si brusquement qu’il manque de renverser la chaise sur laquelle il était précédemment assis. Plongeant les mains dans les poches de son pantalon, il serre les poings. Il avance de quelques pas, tourne le dos à Cordelia ; fixe un point sur le mur d’en face. Sa vision se trouble de colère alors que son souffle s’accélère dangereusement.

« Your parents and mine are so… » Dangereux. Cruels et vicieux. Il ne sait pas pourquoi, Theseus, mais une part de lui tient pour responsables les parents Rosier et les siens. Pour absolument tout. « I can’t stand the idea of them putting their hands on my children. »

Après quelques secondes, Theseus retrouve la force de se calmer. Calquant sa respiration sur un rythme moins soutenu, il se délaisse un instant de sa fureur. Il se retourne, alors, pour de nouveau faire face à sa belle-soeur. « Tell me, Cordelia. If you could run away with Théodore and Louise, far from all of this… Would you ? » S’il existait une porte donnant sur un monde où ils n’auraient à s’inquiéter de rien d’autre que du bonheur de leurs enfants, s’ils pouvaient tout abandonner d’un claquement de doigts. Est-ce qu’ils iraient dans cet Eden ?
Ou bien sont-ils bien trop habitués à l’Enfer pour s’arracher à ses flammes ?

Puis, soudain.
Une autre question lui vient, sans qu’il ne sache vraiment pourquoi.

« If you did, would you bring Marius ? »

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@Theseus Selwyn — mai 1985

tw: mention de mort d'enfant
Là où elle ne pensait pas le trouver, un sourire se dessina sur le visage déchiré de Theseus. Sans ironie, sans scepticisme, avec une honnêteté qui lui apparut certes, difficile, mais nécessaire. Et bénéfique, quelque part - Cordelia l'espérait. L'expression en miroir, leurs sourires fondèrent cependant, comme neige au soleil. Si le souvenir d'Aiden était un rayon de soleil, son absence teintait toutes les couleurs de gris, et aborder le sujet était aussi douloureux que le rappel de sa disparition, ou des culpabilités qui en découlaient. « I was sure about what to do for Aiden. Look at were it got him. » Aussitôt, Cordelia secoua le chef avec ferveur. « Oh, no, Theseus- » Mais le Selwyn ne l'écoutait déjà plus, perdu dans ses remords et ses peurs. « I’m afraid, Cordelia. I’m so afraid that I won’t be able to protect him either. » Elle avait toujours la main sur son épaule, qu'elle serra fermement pour lui transmettre ses sentiments, lui faire comprendre qu'il divaguait et s'imposait des pensées trop douloureuses. « It was an awful, awful accident. None of this is your fault. » Ses doigts enfoncés dans l'épaule de son beau-frère, la sorcière relâcha doucement la pression en se rendant compte de la force qu'elle y mettait, tout en détendant son corps qui s'était crispé à l'évocation même de cette idée. « But, I understand where you're coming from. » Oui, elle comprenait les blâmes qu'il s'infligeait, en aurait sans doute fait pareil, à sa place. Et parfois, il n'y avait pas de mot plus approprié qu'une compréhension, et la reconnaissance de sentiments légitimes.

Dans un sursaut, Cordelia recula alors que son beau-frère se redressait brutalement, dans un fracas de meubles. Bras ballants, elle le regarda s'éloigner sans un commentaire, attendant qu'il exprime le fond de sa pensée. « Your parents and mine are so… » Intrusive, evil, mean, toxic? Les synonymes se bousculaient au portillon de ses pensées, mais aucun ne franchit la barrière de ses lèvres. Theseus savait déjà, tout ça, et c'était sans doute pourquoi il n'acheva pas sa phrase. « I can’t stand the idea of them putting their hands on my children. » Doucement, Cordelia replia les bras sur elle-même, les croisant sur sa poitrine, son index frottant la peau opposée, dans un mécanisme de défense qui était un réflexe. « I know. I feel the same way. » Il lui tournait le dos, pourtant Cordelia parlait d'un ton bas, comme s'il lui faisait face. Elle savait qu'il l'entendait, de toute façon. « My mother was the first at my door when I had Louise. And then, Marius' parents. » Elle avait à peine eu le temps de se remettre de l'accouchement, qu'elle avait du arborer un visage de félicité, et poser son bébé dans des bras qui lui inspiraient tout, sauf de la confiance. « They so desperately want a Seer in the family. » De nombreux voyants étaient des Nott, mais cela n'avait plus été le cas depuis quelques générations. « I hope for nothing more than for my kids to be extraordinarily ordinary », pesta-t-elle, comme si elle lançait un mauvais sort à sa belle famille.

« Tell me, Cordelia. » Theseus lui fit face de nouveau, et Cordelia soutint son regard en se demandant ce que son expression lui réservait, pour cette fois. « If you could run away with Theodore and Louise, far from all of this… Would you ? » La réponse surgit d'elle comme une évidence. « Yes. » Elle resta en pesanteur entre eux, comme une bulle de savon préservée avant qu'elle n'aille se cogner contre un mur et éclate en mille morceaux. « I've thought about it many times, actually. The first time was, well- » Elle n'en avait parlé à personne d'autre qu'à Walden, mais Theseus était un mangemort en plus d'être son beau-frère, son ami, et le meilleur ami de son mari. Elle pouvait lui faire confiance. « When Marius almost got killed on a mission. » De nouveau, la bile dans ses paroles, sur le dernier mot. Ce qu'elle pouvait détester ce milieu dans lequel il traînait, la peur qu'il lui avait fait ressentir. Leurs enfants ne pouvaient pas perdre leur père, elle lui avait assez rabâché. « Then, when we were in France. » Après sa rencontre avec l'Ordre du Phénix. « I wanted to never come back. They made me. » Ses parents, ceux de son mari. « All I want, is for my children to be save. But they would never let me go. » Because in a way, her children were theirs.

« If you did, would you bring Marius ? » La question la surprit, autant qu'elle la prit de court. « I... » La réponse aurait du être aussi évidente que précédemment. Cordelia et Marius faisaient semblant depuis si longtemps ; à ce genre de questions, leurs dialogues étaient rôdés, évidemment qu'ils savaient ce qu'ils devaient répondre. Pourtant, il y avait trop d'honnêteté en cet instant avec Theseus, pour qu'elle se mette à lui mentir. « I... » Tout ce qui lui vint à l'esprit, et colora ses joues d'une honte écarlate, était un visage qui n'était pas celui de son mari. Des battements de cœur déraillés, des sourires non feints, la promesse d'une aventure qu'on lui avait toujours interdit de vivre. Ses bras se resserrèrent, et c'est à son tour qu'elle se déroba à son regard. « I guess I would want for him to be free. To be happy. » Un souffle agacé lui échappa des narines - malgré tout ce qui les avait rapproché, ou séparé, elle gardait pour son mari une tendresse certaine, puisqu'elle l'avait toujours vu comme son binôme dans cette pièce de théâtre qu'était leur vie. « But I know that will never be with me. That it has never been with me. And I- » Son cœur se serra de ses propres réalisations, elle porta ses mains à son visage, prit une respiration saccadée, puis reporta son attention sur l'homme en face. I just want to feel something. Elle ignorait s'il avait perçu cette pensée, mais inutile de lire en elle pour comprendre. « Do you think I would be wrong to... Want more? »

castle walls
@Cordelia Nott — mai 1985

tw: adultère
Cordelia et Theseus, ils évoluent dans un palais d’incertitude. Où les murs s’érigent comme des barrières entre les réalités, toutes les possibilités. Il est toujours plus facile de conjuguer leurs existences au conditionnel que de s’attarder sur leur futur imparfait. Mais l’instant présent, lui, a toujours une saveur d’inachevé. Theseus le sait, et il se doute que son interlocutrice sent croquer sous ses canines ces mêmes granulés de lassitude. C’est du soufre, de la cendre, du sable qui s’écoule dans un sablier dont ils ne peuvent même pas deviner les contours.
Theseus n’est pas stupide et au contraire, parfaitement lucide sur sa situation. Lui et Brianna ont eu de la chance. Celle de se plaire avant même qu’ils n’aient la bague au doigt. Même si leurs débuts n’ont pas été éclairés par la lueur de l’évidence, ses premiers rayons se sont posés sur eux peu de temps après. L’amour s’est installé confortablement dans leurs existences gâchées par les regrets et les traumas intergénérationnels, certes, mais il s’est fait une place tout de même. L’ironie du sort qui s’allie avec la bonté du destin. Aujourd’hui, en dépit de tout ce qu’ils se sont fait de pire, ils sont encore capables de s’offrir le meilleur de ce qu’ils sont, de ce qu’ils ont. D’un coup d’oeil, il a néanmoins été témoin du schéma inverse. Marius est son ami et quelqu’un qu’il porte haut dans son estime - mais encore une fois, Theseus n’est pas stupide. Il sait que son camarade n’a pas l’âme à l’amour, simplement au devoir.

Si Brianna et Theseus étaient de la pluie, ils seraient la tempête. Marius et Cordelia, peut-être de la bruine.
Et le sorcier sait que personne ne peut se satisfaire d’une intempérie sans éclairs.

« You didn’t choose to have to little » dit-il finalement du bout des lèvres, comme s’il craignait d’être entendu. Il lève les yeux et lance à son amie un regard qui se veut doux ; qui l’est un peu, mais qui demeure infesté par les émotions passées. Un drôle de mélange se couche sur le bleu de ses yeux. Une empathie peu commune, qu’il ne réserve qu’à très peu de monde. À défaut d’être légilimens, Theseus comprend les coeurs humains. Il faut au moins ça, pour les dévorer un à un. « It would be ironic to come from a family that prides ambition so much, and to not want everything. »

Tout ce qu’une romance peut donner, prendre, arracher et accorder. Tout ce qui fait de ce sentiment tortueux un mystère, mais aussi une solution. Le tumulte, la bataille, les incompréhensions et cette sensation perpétuelle de chuter inlassablement vers le fonds. Theseus plonge les mains dans les poches de son pantalon, bascule la tête vers l’arrière et fixe le plafond comme s’il était un ciel étoilé. « There is so much out there, Cordelia. I’m lucky to have found it in your sister. »

De la chance, oui. Dumb fucking luck.
Si aléatoire, si imprévisible.
Alors, comment lui en vouloir, de pester contre le hasard ?
Marius n’est pas son étoile, à elle.
Et c’est tout.

« Passion is a wicked thing, but it demands to be felt. » Comme la douleur, comme le regret, comme la perte. C’est un passage obligé, Theseus en est persuadé.

Mais dans le regard qu’il lui adresse désormais, elle doit bien comprendre, Cordelia.
Que rien de tout ceci ne doit se savoir.

« Your children need their father » se contente-t-il d’ajouter. « Whatever you do, don’t forget that. »

Pour le reste, il n’a pas son mot à dire.

castle walls
@Theseus Selwyn — mai 1985

tw: mention d'adultère
À ses oreilles, le sang battait. Dans sa poitrine, son cœur s'emballait, mal à l'aise qu'elle était d'entretenir cette conversation. Ces sujets étaient tus, ces sujets étaient balayés comme des grains de poussières indésirables, sous les élégants tapis qui habitaient leurs fastueuses demeures. Ces sujets provoquaient gros yeux, froncements de sourcils et dénégations. Ces sujets n'existaient pas. Mis à part dans des bulles aussi précieuses que rares, des moments partagés voire volés, avec ses proches. Même avec son mari, Cordelia n'abordait pas ces sujets. Ils savaient ce qu'on attendait d'eux, ils savaient ce qu'ils avaient à faire, et ils n'avaient pas à communiquer là-dessus pour l'accomplir - ni à communiquer sur quoi que ce soit d'autre, par ailleurs. Aborder la question avec Theseus lui semblait si étrange, comme hors propos. Lui, qu'elle voyait comme une figure pragmatique, presqu'autant que son mari. Ce qu'il lui montrait à l'instant, cependant, différait totalement de ce que les hommes de leur cercle lui avait jamais démontré. De la vulnérabilité, de la sensibilité, de la compréhension, de l'écoute et de l'affection. Si Brianna avait gagné un époux d'exception dans son mariage, elle avait offert à Cordelia un autre frère sur lequel s'appuyer.

« You didn’t choose to have so little. » Sa déclaration la dérouta un instant. Wasn't she supposed to have everything she wanted? Pourtant, Theseus avait raison. En un sens, Cordelia n'avait rien - rien qu'elle ait véritablement désiré, fait, ou choisi pour elle-même. « It would be ironic to come from a family that prides ambition so much, and to not want everything. » Un souffle mi-dépité, mi-agacé, lui échappa des narines. « You're right. I do want everything. » Cela n'avait jamais été un secret pour personne. Money, fame, beauty. Cela n'avait pas été très compliqué. Power, influence, knowledge. Elle avait travaillé aussi difficile que possible, pour obtenir cela pour elle-même.

Happiness. Malgré tous ses efforts, le bonheur était rare.
Freedom. Inatteignable.
Love. Inconnu.
Revenge.
Oh, revenge.
If she couldn't have everything she wanted,
at least she could try to have that.

« There is so much out there, Cordelia. I’m lucky to have found it in your sister. » Quittant ses pensées, elle revint vers Theseus, vers le concret de ses paroles. Le sort s'acharnait sur les Rosier, elle aurait voulu pouvoir remonter le temps, ôter toutes les épines qui s'étaient fichées dans leur histoire. « Passion is a wicked thing, but it demands to be felt. » Passion. Elle connaissait. Tout ce qu'elle faisait, elle le faisait avec passion, avec emportement, sans doute trop. Elle apprenait, cependant, que la passion pouvait aussi être douce, et encore plus sucrée lorsqu'elle était savourée. Croisant le regard de son beau-frère, elle sentit que sa validation s'arrêtait là. « Your children need their father. » « I know. » « Whatever you do, don’t forget that. » « I don't. I won't. » L'impression d'être sermonnée, ou mise en garde, lui laissa un goût âpre sur la langue. Le besoin de se justifier se manifesta presqu'aussitôt. « Nothing matters more to me than my children. I would never do anything that- » Elle s'arrêta, pour ne pas faire de promesse qu'elle ne pourrait pas tenir, encore une fois. Se reprit, pourtant, aussi vite. « That thing - it's not that serious. It's not serious at all. » Du moins, tentait-elle de s'en convaincre. Ce qu'elle voulait, avait toujours été de prendre sa revanche sur ce qu'il lui était arrivé. Elle n'avait simplement pas prévu de s'amuser autant en le faisant - ou de ressentir des choses qu'elle devait s'interdire. « I just - I think I need to do it for myself. Just this one thing. » Elle se mordilla les lèvres, elle-même perdue dans ce monologue qui ne menait nulle part - comme cette histoire. « Please, do not tell anyone. »