lonesome and mad
@Leon Selwyn — mi-janvier 1985

tw: mention de mort d'enfant, grossesse, alcool.

C’est une migraine de plus. Une douleur supplémentaire qui s’invite entre les parois de son crâne et se fait un nid douillet dans l’étreinte de son esprit. C’est un nouveau casse-tête et Theseus n’a pas les mains suffisamment habiles pour le résoudre maintenant. Il n’empêche qu’il l’a fait. Qu’il l’a envoyé, ce hibou. Sans s’attendre à une réponse, puisque qu’il n’est pas dans les habitudes des frères Selwyn de beaucoup échanger. Une date, une heure, un lieu : ce vendredi en fin de soirée, dans son manoir, en l’absence de son épouse en convalescence chez sa soeur en compagnie de Nicola. Ce soir, le silence règle ; à peine perturbé par le grésillement mélodieux s’échappant du phonographe ensorcelé. Debout devant la grande fenêtre du salon, Theseus contemple l’extérieur. La nuit est presque installée. Le ciel se pare de nuances délavées, flirtant avec le rose et l’orangé. Le crépuscule est à peine moucheté de quelques étoiles timides et en avance. Il attend. Ressasse et répète un discours décousu dans un coin de sa tête. Une main dans la poche, l’autre refermée autour d’un verre de whisky qu’il vide pour la seconde fois.

La missive fut expéditive, rédigée d’une main tremblante - puant l’urgence. Il faut bien avouer que, oui. Theseus est terriblement nerveux.
Pour la première fois depuis trop longtemps, son humanité le rattrape.
Et pour la première fois tout court, il a besoin d’un frère pour l’aider à maintenir le cap.

La grossesse de Brianna l’a frappé comme un éclair, imprévisible et électrisant. Les premiers jours, le déni l’a conforté, bercé dans des bras invisibles et rassurants. Mais à peine quelques nuits après que la nouvelle ait été baignée dans la lueur de la vérité, les premiers signes ont enfin éclos. La silhouette de la sorcière s’est autorisée à changer. La rondeur d’un ventre, la rougeur de ses joues. Bientôt viendra le moment d’en parler. À leurs parents respectifs, à leurs collègues, à leurs rares amis.
Theseus
est
terrifié.

Le visage de son père apparaît à la surface de sa mémoire, trouble son champ de vision d’un voile d’angoisse. Ils ne savent pas encore s’il s’agit d’un héritier ou d’une héritière. Pour l’heure, il ne s’agit que d’un imprévu. Et chaque jour, chaque nuit, une terrible pensée s’installe. Se fait chez elle dans le royaume de ses insomnies.
Aiden, Aiden, Aiden.

Alors, oui. Theseus attend. Il attend que son frère partage avec lui ce verre de la trêve ; ce verre qu’ils appelleront solitude, mais qu’il est toujours mieux de consommer ensemble.

Au loin, il entend les portes du Manoir s’ouvrir. La voix de l’elfe de maison porte un « bienvenu » poli jusqu’à ses oreilles.
Theseus se retourne enfin et s’apprête à accueillir Leon chez lui. 

Il remplit le deuxième verre, patientant docilement sur la table basse.

« Je suis surpris que pour une fois, tu ne sois pas en retard » commente l’aîné en jetant un regard à la lourde horloge trônant à l’autre bout de la pièce. « J’en suis flatté. »

Theseus esquisse un sourire. Son sempiternel rictus faux, qui cache bien trop de choses tues.
Il prend une gorgée ; brûlante et corrosive.

« Merci d’être venu » se contente-t-il de lâcher avant d’indiquer d’une main une place sur l’un des fauteuils. « Comment vas-tu, Leon ? »

Gagne-t-il du temps ?
Oui, sans doute.
De toute façon, il n’en a plus beaucoup à gâcher.